Chaque année, on revit la même tradition de sélection académique, rythmée par un festival de cris de bonheur et de larmes de déception. Un sort scolaire scellé en l’espace de quelques jours. Le baccalauréat, ce fameux sésame qui ouvre la porte des études supérieures aux plus chanceux et recale les malchanceux qui n’auront pas satisfait aux exigences de réussite dans les différentes disciplines administrées. Aux yeux des lycéens, décrocher ce diplôme c’est plus qu’une évaluation formelle, c’est une marque de distinction sociale, un rite de passage obligatoire qui honore ou sanctionne. On se souvient encore de ce moment d’angoisse et d’anxiété qui vient nous délivrer d’un fardeau social ou nous plonger dans le jugement négatif d’une société qui accepte mal l’échec alors qu’elle nous y prédispose très souvent.
Le baccalauréat, une autre relique de l’héritage colonial dont on a encore du mal à se départir, illustre en réalité les limites d’un système éducatif inégalitaire. Entre le fossé qui sépare les écoles publiques et les institutions scolaires privées d’un côté, et, de l’autre, le favoritisme entretenu par l’État de certaines écoles publiques dites d’excellence au détriment de la grande majorité des établissements scolaires persiste l’existence d’un système scolaire à plusieurs vitesses qui n’offre pas les mêmes chances de réussite à tous les élèves. C’est à l’image d’une société marquée par ses profondes inégalités à différents niveaux.
Les projecteurs sont toujours braqués sur les réussites et on oublie ceux qui ont été évalués négativement en l’espace de quelques jours. La famille, les proches et l’État s’approprient fièrement le mérite de chaque réussite. Tant mieux. En cas d’échec, un seul coupable est pointé du doigt : l’élève. On lui reproche très souvent de n’avoir pas travaillé suffisamment. Et pourtant…A-t-il été placé dans les mêmes conditions de réussite qu’un autre élève qui n’a vécu ni grève ni manque d’enseignants pendant toute l’année scolaire? A-t-il complété l’ensemble des jours de classe et étudié dans un environnement sain, sécuritaire et propice aux apprentissages? Dispose-t-il de toute l’aide nécessaire aussi bien humaine qu’académique en cas de difficultés scolaires? Les parents ont-ils été suffisamment outillés aux besoins d’encadrement éducatif de l’enfant? Il est injustice de poser un verdict scolaire final en trois jours lorsque l’élève patauge depuis plusieurs années dans un environnement scolaire défaillant sans aucun soutien.
En 2022, le directeur de l’Office du baccalauréat s’enorgueillissait d’un taux de réussite qui dépassait à peine 50%. Comme d’habitude, on a encore applaudi les plus méritants en oubliant l’autre moitié laissée en rade, contrainte de reprendre une année scolaire entière. Pour certains, c’est la deuxième ou troisième tentative. En comparaison, la France a enregistré au Bac 2023, un taux de réussite à 90,9%, selon le ministère de l’Éducation.
C’est une tare sociétale d’instituer l’échec comme une normalité. Pensez par exemple à l’université où reprendre une année ou une session pour un étudiant reste encore l’expérience la mieux partagée. Le culte de l’excellence s’accompagne de l’égalité dans le traitement de tous les citoyens pour laisser éclore les talents de chaque enfant quelle que soit son origine sociale. L’exposition médiatique à outrance des rares élèves doués ou du nombre de réussite au bac avec la mention d’honneur cache mal les nombreuses failles et injustices d’un système scolaire qui exclue plus qu’il ne participe à l’inclusion des plus vulnérables. En effet, il est d’abord attendu de la part d’un État moindrement sensible à l’égalité des chances et conscient de la très sérieuse mission de l’éducation pour un peuple de mettre en place toutes les conditions de réussite scolaire avant de se dédouaner. Sinon, il lui sera totalement imputable tous les échecs.
Il y a ainsi une indifférence sidérante proche d’un cynisme collectif volontaire à laisser toute la responsabilité d’un échec sur les frêles épaules d’un élève à peine sorti de l’adolescence, en pensant que de simples mots d’encouragements suffiront. Un jeune d’à peine 18 ou 20 ans qui commence sa vie d’adule par un cuisant échec, c’est un sacré coup pour l’estime de soi. On ne mesure pas souvent l’étendue psychologique de recevoir une première claque à l’aube d’une vie et d’être parfois la risée bien dissimulée d’une société. La confiance en soi d’un peuple dont on espère qu’il saura compétir plus tard avec le reste du monde se construit et se forge d’abord sur les bancs de l’école.
En plus des conséquences psychologiques qui pourrait entraîner une succession d’échecs, il y a une médiocrité étatique dans la gouvernance scolaire d’accepter de dépenser annuellement des milliards pour aboutir à des échecs…
Lorsque des pratiques institutionnalisées donnent les mêmes piètres résultats, il y a alors lieu de faire un temps d’arrêt et de questionner la pertinence de ces pratiques. Le lourd héritage colonial français, dans ses différentes ramifications, nous enferme dans un immobilisme atavique.
Ailleurs dans le monde, le baccalauréat, tel qu’il se vit et se déroule en France comme dans ses ex-colonies, n’existe pas. Les évaluations de fin de parcours, en plus de leur caractère plus humain, intègrent des dimensions plus représentatives du réel niveau de l’élève tout au long de sa scolarité.
Lamine Niang
Gestionnaire scolaire