LE SENEGAL, EN DEFAUT SUR LE PLEIN EMPLOI

Bien qu’étant immensément riches en ressources naturelles et potentiellement fournis en main d’œuvre (ressources humaines), les pays d’Afrique semblent dépassés par la question de l’emploi.

Dans les années à venir, la croissance économique du Sénégal sera robuste. Pour autant, elle ne résoudra pas le problème de l’emploi tant que l’Etat ne changera pas de paradigme, en adoptant un cadre légal et en étroite collaboration avec ses partenaires au développement. C’est la conviction de l’économiste-chercheur, Ndongo Samba Sylla qui intervenait, à Dakar, dans le cadre des activités mensuelles dénommées « Les samedis de l’économie » sur le thème : La garantie d’emploi.

Bien qu’étant immensément riches en ressources naturelles et potentiellement fournis en main d’œuvre (ressources humaines), les pays d’Afrique semblent dépassés par la question de l’emploi. Un mal vivre certes propre à tous les Etats du monde, mais qui a fini par transformer l’Afrique en un continent encore plus pauvre, selon la Banque mondiale. Pour s’en convaincre, selon la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (Cea), « le continent abrite 54 % des réserves mondiales de platine, 78 % de diamants, 40 % de chrome et 28 % de manganèse ». Mieux, conforte le Programme des Nations-Unies pour le développement (Pnud), « dix-neuf des 46 pays d’Afrique subsaharienne possèdent d’importantes réserves d’hydrocarbures, de pétrole, de gaz, de charbon ou de minéraux et 13 pays explorent actuellement de nouvelles réserves ». Qui plus est, la population africaine s’avère « la plus jeune au monde avec plus de 400 millions de jeunes âgés entre 15 et 35 ans », selon les Nations-Unies. Malgré tout ce potentiel à même de faire de l’Afrique un refuge sûr et tranquille, la pauvreté y domine. Un paradoxe qui interpelle les spécialistes qui tentent de cogiter sur les politiques d’emploi au Sénégal, surtout celui des jeunes. Au vu de ce contraste, l’économiste et chercheur à la fondation Rosa Luxemburg, Ndongo Samba Sylla, débattant samedi dernier, à Dakar, sur la garantie d’emploi dans le cadre des activités mensuelles de l’Africaine de recherche et coopération pour l’appui au développement endogène (Arcade) balaie d’un revers de main l’idée selon laquelle l’Etat n’a pas vocation à créer de l’emploi. « Ceux qui soutiennent que l’Etat n’a pas vocation de créer de l’emploi, que le chômage est une question d’employabilité et que le déficit public doit être limité à 3% comme le préconise la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (Bceao) relèvent tout simplement de l’aberration».

Revisitant les politiques d’emploi déroulées jusqu’ici, l’économiste pense que ces emplois créés sont non seulement « précaires » mais « peu rémunérés ». Une option qui favorise plus la paupérisation. Parce qu’au même moment, le coût de la vie ne cesse de devenir plus cher. Une situation aggravée par l’ajustement structurel des politiques publiques intervenu en 1984 sur ordre des institutions de Bretton Woods (Banque mondiale, Fonds monétaire international). Lesquels ajustements ont mis à terre les politiques publiques au profit de nouvelles formes de partenariat appauvrissantes.

ECHEC DE LA POLITIQUE DE PLEIN EMPLOI 

Aux yeux de l’économiste-chercheur, la garantie d’emploi à laquelle l’Etat est assujettie est une « question macroéconomique ». Donc, « liée à la souveraineté monétaire », dira l’un des jeunes penseurs africains les plus éclairés aujourd’hui. L’économiste sénégalais du développement croit mordicus qu’ « une économie capitaliste tirée par l’investissement privé ne peut garantir le plein emploi ». Ainsi, soutient-il : « Pour garantir le plein emploi, il faut que l’Etat intervienne pour offrir des possibilité d’emploi à ceux qui sont involontairement au chômage ». Etayant son propos, il convoque la perspective de la théorie monétaire moderne selon laquelle « la garantie de l’emploi est liée à la souveraineté monétaire ». Se voulant explicite, il affirme que la monnaie relève du monopole public. Et donc, « seul l’Etat ou le gouvernement a la capacité d’émettre sa monnaie à travers sa banque centrale. Aucun agent économique ne peut se le permettre. Dans son raisonnement, si on conçoit comme un monopole public, on peut comprendre aisément que le prélèvement d’impôts et de taxes crée le chômage. « Ce que malheureusement les gens ne comprennent pas », regrette-t-il. Selon lui : « Le fait d’imposer aux populations de payer les impôts et les taxes crée le chômage. En ce sens que l’Etat cherche à avoir des ressources à partir des activités de sa société. Et donc, quand l’Etat doit prendre des taxes, les populations doivent couper le numéraire pour pouvoir payer les taxes ». Sous cet angle, certaines personnes vont se retrouver sans actions numéraires. Et donc, « en chômage ». Dans la théorie monétaire, le chômage est interprété comme une situation de demande non satisfaite d’emploi rémunéré dans l’unité de compte de l’Etat. Autrement dit, un Etat qui tient sa propre monnaie peut toujours acheter à partir de sa propre monnaie, y compris sa main d’œuvre. Et l’économiste d’en déduire que seul l’Etat peut résoudre le chômage « en injectant une quantité de monnaie nécessaire ». Mais, vite il précise que la garantie d’emploi n’est pas un substitut aux politiques sociales (éducation, santé…) encore moins à la politique industrielle.

UN ETAT SOLVABLE FAVORISE LE CHOMAGE 

L’économiste en développement non moins membre du cercle de réflexion et de Think tanks travaillant sur les défis de développement de l’Afrique est d’avis que l’Etat n’a pas besoin d’épargner. Parce qu’il n’est pas comme un « ménage qui a besoin de l’épargne », mais tout le contraire. Ainsi selon lui : « Si un Etat épargne, il crée du chômage ». Autrement dit quand un Etat épargne 5 francs CFA, cela signifie que l’Etat a prélevé au secteur non étatique 5 francs CFA. Mais tout au plus, « l’Etat doit dépenser pour son secteur privé, permettre à celui-ci d’avoir accès au marché intérieur tout comme le marché de l’extérieur », conseille-t-il. Parce que, croit-il savoir, « le déficit de l’Etat, c’est l’accroissement net de la richesse financière du secteur non gouvernemental ». Toujours selon lui, un Etat qui décide de limiter son déficit à « 3%, c’est un Etat qui décrète n’avoir aucun moyen de créer des emplois ». Poursuivant son raisonnement déductif, il indique que si l’Etat veut avoir une politique de plein emploi, il faut se donner les coudées franches. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut faire même n’importe quoi. En d’autres termes les dépenses de l’Etat doivent être ciblées.

8000 JEUNES DIPLOMES A LA QUETE DU PREMIER EMPLOI

Trouver de l’emploi au Sénégal relève d’un véritable parcours de combattant. A ce jour, on dénombre « 8000 jeunes diplômés cherchant désespérément leur premier emploi », a dit Yancouba Sagna, représentant des diplômés sans emploi du Sénégal. Il co-débattait à Dakar sur le thème : « La garantie d’emploi ». Ce, dans le cadre des activités mensuelles de l’Africaine de recherche et coopération pour l’appui au développement endogène (Arcade) en collaboration avec la Fondation Rosa Luxembourg. Ces 8000 jeunes sont diplômés des universités publiques du Sénégal, des écoles et instituts de formation professionnelle. « Nous avons tout tenté, mais les autorités n’en ont cure », a-t-il lâché avec un pincement de cœur. Refoulant le faux fuyant des pouvoirs publics qui soutiennent que les jeunes doivent se jeter à l’auto-emploi et refuser d’attendre tout de l’Etat, Yancouba Sagna n’en décolère pas. « Moi, personnellement, j’ai frappé à plusieurs portes depuis plusieurs années sans voir une lueur d’espoir ». Pour s’en convaincre, « depuis l’avènement de la Délégation à l’entreprenariat rapide des jeunes et des femmes en 2019, nous avons déposé des dossiers pour obtenir un financement mais depuis lors, rien du tout ». Dans ce pays, « il faut faire la politique ou être de la localité du ministre en charge des jeunes ou encore être recommandé pour trouver de l’emploi. Faute de quoi, c’est la galère », constate le diplômé sans emploi pour s’en désole

Sud Quotidien

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