« Le Conseil Constitutionnel devrait déclarer Macky Sall incapable de gouverner le Sénégal et le destituer, parce que ce qu’il a dit est grave. (…) Il incite à un coup d’État militaire. Macky Sall doit être sanctionné de façon précise par la communauté internationale. (…) C’est au vu et au su des observateurs que des jeunes sont abattus, que des femmes sont violentées », s’indigne le doyen Habib Sy, candidat à l’élection présidentielle.
Dans un récent entretien avec l’agence de presse américaine Associated Press, le putschiste Macky Sall lançait à l’endroit de l’opposition cette menace hors du commun : « (…) et de dire aux acteurs politiques, faites attention., faites attention, parce que nous ne sommes pas seuls sur la scène. Et si les politiques ne sont pas capables de s’entendre sur l’essentiel, d’autres forces organisées [à savoir les militaires ou gendarmes] le feront à leur place. Et là, ils perdront tous ». Le président menace donc clairement l’opposition si jamais elle ne vient pas dialoguer avec lui pour le report des élections et l’allongement de son mandat illégal de plus de 10 mois à la tête de l’État sénégalais.
Celui qui a pris démocratiquement les reines du pays en 2012 vient ainsi légitimer un coup d’état en faisant un appel du pied aux forces organisées, qui doivent garantir le respect de la légalité constitutionnelle et non prendre le pouvoir par les armes. Le Sénégal, qui a connu une belle histoire avec deux alternances démocratiques en 2000 et en 2012, et aucun coup d’État, constituait un modèle de la démocratie africaine. Mais depuis son arrivée au pouvoir, le président Macky Sall a posé successivement des gestes antirépublicains et dictatoriaux, sans être nullement inquiété.
Le 2 juillet 2023, le candidat Ousmane Sonko tout en saluant le rôle essentiel de l’armée sénégalaise dans la préservation de l’intégrité nationale avait demandé à celle qu’on qualifie de « Grande Muette » de ne pas rentrer dans le jeu politique et de suivre l’exemple du général de l’armée Jean Alfred Diallo qui a défendu les intérêts du peuple lorsqu’il était à la tête de l’armée, en refusant de réprimer le peuple sénégalais.
« L’Armée nationale est notre dernier rempart. L’Armée est la garantie de la sécurité et de la stabilité du pays. Vous faites notre fierté ». Soulignons que ce militaire a joué un rôle déterminant dans les événements de 1968 en appliquant la doctrine d’une armée qui ne tue pas les citoyens mais plutôt se range aux côtés du peuple.
« Après avoir voulu nous imposer un coup d’État constitutionnel, le président Macky Sall vient de souhaiter l’instauration d’un coup d’État militaire, un deuxième coup d’État (en l’espace de quelques jours) contre le peuple sénégalais »., alertait le vaillant député Guy Marius Sagna lors d’un point de presse des leaders de la coalition Diomaye Président du dimanche 11 février.
Dans ce même point de presse, plusieurs leaders de l’opposition qui se sont succédé ont tenu à rappeler les principes républicains et la nécessité de sauver la démocratie et l’État de droit. L’ancien magistrat Alioune Ndao faisait également remarquer à l’opinion nationale et internationale que « le Sénégal est à un tournant extrêmement grave (…) Macky Sall ne connait pas le dialogue sincère, tous ces dialogues ne sont que des ruses (…) il ne connait que le rapport de forces » tout en s’empressant de demander aux « policiers de se ranger aux côtés du peuple auquel ils appartiennent, (…) puisqu’ils sont fils de paysans, de maçons, etc. ».
Très en verve, l’ex-procureur spécial de la Cour spéciale contre l’enrichissement illicite (CREI) demande aux forces de défense et de sécurité (FDS) « de ne pas commettre des crimes de guerre, de génocide puisque ces actes ne seront pas impunis (…) Tous ceux qui auront commis des actes de génocide répondront devant les juridictions nationales et internationales (CPI). Une fois que le régime partira, il y aura des conséquences ». Il a invité clairement les FDS à « ne pas suivre Macky Sall dans ses desiderata …votre devoir de policiers, et de gendarmes est de protéger la population et non pas de tirer sur elle » leur demandant solennellement de « faire preuve de retenue » puisque le président Macky Sall « partira le 2 avril 2024 ».
Dans cette même perspective, l’ancienne première ministre Aminata Touré s’est prononcée elle-aussi sur la déclaration malheureuse et l’appel du pied de Macky Sall à un coup d’État militaire. S’adressant aux membres du Conseil constitutionnel, la candidate recalée à la présidence disait en substance ceci : « Vous êtes 7 Sénégalais (sur 18 millions). L’avenir de notre pays est entre vos mains. C’est à vous d’entrer dans l’histoire ou d’être à dos de l’histoire en rejetant cette loi anticonstitutionnelle » tout en rappelant les menaces de Macky Sall, alors opposant, qui disait en 2011 au président Abdoulaye Wade ceci : « Son mandat ne peut pas être prolongé même d’une journée sinon le pays serait dans le chaos, parce que les gens ne le reconnaitront plus et il n’y aura plus d’autorité dans ce pays. À partir du moment où le président n’est plus reconnu, chacun fera ce qu’il veut et c’est dangereux pour le pays. Le report d’une élection présidentielle est une fiction, ceux qui pensent ainsi doivent cesser de rêver ».
La femme d’État sénégalaise Aminata Touré qui s’exprimait également en tant que mère de famille a fait le plaidoyer en faveur de toutes les femmes qui demandent à Macky Sall d’arrêter les massacres sur les enfants des autres familles sénégalaises : « Arrêtez de tuer nos fils, nos enfants qui exerçaient leurs droits constitutionnels en manifestant (…) Il n’y a pas de vies qui valent plus que d’autres. On n’a jamais autant tué des personnes que sous le régime de Macky Sall ».
« Celui qu’on appelle le père de la nation sénégalaise (Macky Sall) doit protéger la jeunesse, sermonne l’ancienne ministre de la Justice de 2012 à 2013. Les femmes sénégalaises ne vous le pardonneront pas et demandent à la justice de trancher » comme le disait celui qui l’avait précédé dans les prises de parole, l’ancien procureur Alioune Ndao. « Si vous pouvez mettre en prison, les 18 millions de Sénégalais, allez -y » conclut-elle avec tristesse sous l’applaudissement des leaders politiques présents.
Mme Aminata Touré a raison de demander que l’impunité cesse immédiatement au Sénégal. L’image de la personne à mobilité réduite habitant à Ziguinchor- que les forces de défense et de sécurité ont extirpé de force de son fauteuil roulant, avant de le briser par la suite, a fait le tour du monde. Ils ont alors roué la victime de coups de fusils sur la tête et le visage alors qu’elle ne faisait que manifester tranquillement avec un drapeau à la main-. Le Sénégal devient encore une fois la risée du monde avec des gestes inhumains qui n’honorent pas le pays, peu importe l’obédience politique des citoyens.
L’ancienne directrice de l’institut des Nations Unies pour la Formation et la recherche pour la Promotion de la Femme (INSTRAW) Yacine Fall qui s’exprimait en anglais a indiqué que « la violence exercée sur la population est un précédent dangereux ».
L’économiste de formation a aussi rappelé l’image honteuse de la personne handicapée brutalisée, de la femme frappée à la tête par derrière mais aussi insisté sur les actes de haute trahison du président Macky Sall,
« Les sentiments les mieux partagés sont colère, honte, indignation », pourrait-on dire pour résumer les réactions des Sénégalais en général. Le doyen Habib Sy a raison de raconter une anecdote d’une personne de la diaspora qui regrettait qu’on assimile le Sénégal avec la Palestine et l’Ukraine (voir reportage de France 24, une semaine dans le monde : Gaza, Sénégal, Ukraine) sur les plateaux de télévision et réseaux sociaux.
Les deux différents recours déposés par l’opposition devant la Cour suprême et le Conseil constitutionnel ont un caractère suspensif sur la décision de Macky Sall de reporter l’élection présidentielle du 25 février 2024. Le député Guy Marius Sagna qui se prononçait sur le caractère suspensif de ladite décision justifiait la nécessité pour la Coalition Diomaye Président ainsi que les autres candidats de poursuivre la campagne électorale. Car la loi votée ne correspond pas à la Constitution. La résistance ainsi que la désobéissance civile doivent continuer selon ce représentant du peuple qui défend tous les segments de la société sénégalaise.
Le leader Moustapha Guirassy qui officiait brillamment comme maître de cérémonie a aussi appelé les Sénégalais à une mobilisation continue pour mettre fin aux dérives et morts du régime liberticide de Macky Sall. « Le train de l’histoire est garé à nos portes. (….). Il n’est plus de temps à invoquer une quelconque neutralité devant les forfaitures ». Il a appelé le peuple sénégalais à un sursaut, car selon lui, « on est plus dans une logique de parti. Il urge de se réunir sur des questions éminemment importantes ».
Les Sénégalais ne doivent pas accommoder le putschiste Macky Sall. Ils doivent continuer à exiger que les élections se tiennent à date échue conformément au calendrier électoral républicain et avant le 2 avril comme le rappellent sans cesse le professeur de droit constitutionnel à l’université Cheikh-Anta-Diop Babacar Gueye, membre du collectif “Aar sunu élection” (protégeons notre élection)., le président de la commission sénatoriale des relations étrangères, Ben Cardin, les Américains, l’Union européenne, la CEDEAO et tous les amis du Sénégal. Les États-Unis, par le biais du secrétaire d’État américain en la personne Anthony Blinken, ne cessent d’exhorter le président Macky Sall à rétablir « aussi vite que possible » le calendrier électoral républicain du Sénégal conformément à la Constitution.
Doudou Sow, sociologue, auteur et lauréat du Mois de l’histoire des Noirs