Le 15 février dernier, le Conseil constitutionnel s’est déclaré compétent (enfin) pour dire le droit et rétorquer le décret reportant l’élection présidentielle du 25 février. Les juges du Conseil constitutionnel ont motivé leur décision en invoquant les dispositions des articles 31 et 103 de la constitution qui consolident l’intangibilité de la durée et du nombre des mandats. Il a fallu, hélas, déplorer des pertes en vies humaines (quatre jeunes) après des manifestations violemment réprimées, comme d’habitude, par les forces de défense et de sécurité; sans compter de nombreuses arrestations et des dégâts matériels incalculables.
S’il faut se féliciter de la décision du Conseil constitutionnel et de l’accalmie qu’elle a suscitée, la prudence et la vigilance doivent être de mise. Les “Sages” du Conseil constitutionnel n’ont pas fixé de nouvelle date pour le scrutin; car constatant “l’impossibilité d’organiser l’élection à la date initialement prévue”, ils “invitent les autorités compétentes à la tenir dans les meilleurs délais”.
Organiser des élections dans “les meilleurs délais”exige l’application des dispositions de l’article 31 de la loi fondamentale qui stipule que “le scrutin a lieu quarante cinq jours au plus et trente jours au moins avant la date de l’expiration du mandat du président en fonction”. Pour respecter le calendrier républicain et rester dans ce schéma, la date idoine est donc le 3 mars, le dernier jour de Macky Sall à la tête du pays étant le 2 avril; une échéance au-delà de laquelle il devient un citoyen ordinaire. Or, comme tout le monde le constate, l’actuel chef de l’État est dans la ruse et les manœuvres dilatoires pour ne pas organiser d’élections, dans le seul but de se maintenir, lui et son clan, le plus longtemps possible au pouvoir. Devant une poignée de journalistes bien choisis, Macy Sall lance un appel au “dialogue et à la concertation avec les forces vives pour l’organisation d’élections transparentes et inclusives”. Seize des dix-neuf candidats éligibles à la présidentielle et une bonne partie de ces “forces vives” ont aussitôt opposé une fin de non-recevoir à ce “dealogue”.
Depuis l’élection de Macky Sall en 2012, notre pays n’a jamais connu d’élections transparentes et régulières. Les législatives de juillet 2017 ont eu lieu dans un désordre total: matériel électoral non disponible à temps, bureaux de vote tardivement ouverts, des électeurs qui ne trouvent pas leurs noms sur les listes, et pour couronner le tout, quarante sept listes étaient en lice. Tout cet imbroglio était créé et entretenu par le régime (des candidats ont avoué avoir été parrainés par le président lui-même) pour pouvoir justifier et imposer la loi sur le parrainage pour la présidentielle de 2019. Cette dernière verra la participation de seulement cinq candidats, tous les autres seront bloqués par le bouchon du parrainage, malgré l’arrêt de la cour de justice de la Cedeao. Lors des dernières législatives, le Conseil constitutionnel a invalidé la liste nationale des titulaires de la coalition Yewwi Askan Wi, pour maintenir la liste des suppléants. Une décision inédite et inique, car écartant ipso facto le leader de l’opposition, Ousmane Sonko.
Macky Sall n’a jamais fait jouer aux différentes institutions leur véritable rôle. Durant tout son règne,il ne fera qu’instrumentaliser les forces de défense et de sécurité, inféoder et infantiliser la justice et l’Assemblée nationale pour atteindre ses objectifs. Le principe de la séparation des pouvoirs n’est qu’un vœu pieux qu’il foule aux pieds régulièrement. Le dialogue auquel nous convie Macky Sall est un leurre. Le 28 mai 2016 a été instauré “journée de dialogue national”; depuis cette date d’autres dialogues et concertations ont eu lieu, mais toujours sur fond de petits arrangements et de manigances sur le dos du pauvre peuple sénégalais. Le dernier dialogue qui remonte au 31 mai 2023 a été présidé par, tenez-vous bien, Tanor Thiendella Fall (Dge) et avait pour but une “bonne organisation de la présidentielle de février 2024”.
L’objectif de ce nouveau dialogue est double: reprendre le processus électoral à zéro pour écarter les uns et inclure les autres, et dissoudre le Conseil constitutionnel pour le remplacer par un autre organe qui se pliera à la volonté de ce satrape en fin de règne qu’est Macky Sall. Cependant, les Sénégalais dans leur grande majorité (opposition, syndicats, société civile, citoyen lamda…), exigent une seule chose: la tenue d’élections avant la fin du mandat de Macky Sall pour lui faire un “Tàggatoo” mémorable.
D’autres voix, non moins audibles, se sont jointes au chœur: l’UE, les Usa et d’autres partenaires internationaux du Sénégal s’inquiètent de la situation et demeurent unanimes sur l’organisation d’élections à date échue et le respect des libertés fondamentales.
“Les changements qualitatifs structurels majeursdans les sociétés humaines ont toujours été l’œuvred’une poignée (plus ou moins importante) d’hommes et de femmes convaincus, engagés, prêtsà tous les sacrifices pour le bien de leur groupe, qu’il s’agisse de communautés religieuses, culturelles ou étatiques et nationales”. Ousmane Sonko, “Solutions” p. 225.
Le respect du calendrier républicain et de l’état de droit ne peut et ne doit faire l’objet d’aucun dialogue ou concertation. Le psychodrame que vit le peuple sénégalais est l’œuvre d’un homme qui a peur de quitter le pouvoir parce qu’il sait qu’il va devoir rendre des comptes. Si nous ne nous levons pas pour le faire partir, il continuera à nous narguerindéfiniment.
Mangue SÈNE, Pastef Rome