L’arrivée au pouvoir du Président Bassirou Diomaye Faye est attendue et entendue comme la matérialisation d’une rupture contre ce que nous avons appelé ces dernières années “le système”. Le système est large et complexe et renvoie, en résumé, à la manière dont nos pays sont gouvernés depuis les indépendances avec une responsabilité des anciennes puissances coloniales et des élites complotistes (lire Frantz Fanon, Ngugi Wa Thiong’o et Ayi Kwei Armah).
Le Président Diomaye est porté par sa propre coalition et s’est appuyé sur “Le Projet”, ce manifeste politique, une sorte de livre rouge, ou livre vert, dirais-je, pour contextualiser. Ce projet a été élaboré par les cadres de son Parti, PASTEF Les Patriotes, épaulés par d’autres experts et spécialistes, la plupart ayant travaillé dans l’anonymat total.
La rupture est donc attendue sur tous les plans. Et, les Sénégalais escomptent d’actes forts de la part de leur nouveau président pour déceler les premières manifestations de cette rupture dans la façon de faire de nos présidents et dans le mode de gestion de l’Etat.
Ainsi, il était de coutume, pour tout nouveau président élu au Sénégal, de réserver sa première sortie du territoire national à une visite de “fidelisation des liens” chez son “partenaire historique”, à savoir, l’ancienne métropole, la France. Macky Sall, quoique né après les indépendances, était censé rompre cette tradition dans un contexte de déconstruction du complexe colonial. L’ancien président sacrifia à la tradition et consacra sa première visite à la France. Ce fut le début d’un renforcement sans précédent de la dépendance de notre pays vis-à-vis de la France, avec des conséquences malencontreuses qui vont jaloner tout son règne, non sans attirer l’ire des Sénégalais, qui vont d’ailleurs s’attaquer aux intérêts des Français lors des différentes manifestations qui ont secoué sa magistrature.
Lorsque nous avons commencé à rédiger le programme de campagne, devenu aujourd’hui le Projet, nous avons fait de la diplomatie du voisinage une de nos priorités et des thématiques à aborder en première instance. D’abord, cela allait de soi, en tant que parti qui se réclame panafricain et héritier des idées de l’illustre penseur Cheikh Anta Diop. Ensuite, nous tenions à corriger certaines insuffisances. En effet, la politique étrangère est avant tout une politique du voisinage immédiat, comme le soutient Henry Kissinger. Il y va non seulement de la sécurité du pays mais aussi de sa prospérité économique, de la paix, de la cohésion et la fraternité des peuples concernés. En réalité, ce voisinage a été compartimenté en pays silots, avec la balkanisation issu du Congrès de Berlin, et tout gouvernement d’obédience panafricaniste se doit de le rétablir et, mieux de le promouvoir.
En réalité notre postulat était de dire que notre voisinage importait que tout autre chose. Il est, à vrai dire, au dessus même de nos liens avec l’ancien colonisateur qui dispose d’énormes moyens de pression (assistance économique, militaire, monnaie et autres).
Si le projet a été aussi audacieux et s’est voulu tout iconoclaste, c’est parce que nous étions convaincus du courage et du bien fondé de ceux qui allaient le porter et le mettre en œuvre. En voyant le Président Diomaye consacrer ses premières sorties à notre voisinage immédiat, les Sénégalais se sont senti fiers et sont aussi rassurés du respect et de la considération que lui témoigneront ses voisins, avec des retombées positives dont on saurait mesurer l’ampleur.
Hier, en quittant Dakar et en foulant le sol Mauritanien, le Président Bassirou Diomaye a envoyé un signal fort qui consiste à dire que notre nouvelle politique est désormais “Le Sénégal, l’Afrique de l’ouest et l’Afrique d’abord”. Ceci est un acte audacieux et cohérent, qui marque un nouveau départ.
Pourquoi la Mauritanie?
D’abord ce pays assure la présidence de l’Union Africaine. La visite du Président Diomaye est donc une visite chez tous les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Afrique en attendant le premier sommet de l’UA pour les rencontrer physiquement.
Ensuite, la Mauritanie est un pays stratégique pour le Sénégal avec plusieurs intérêts en jeu. Je me permets ici de citer quelques éléments.
La Mauritanie dispose, en outre, des réserves les plus poissonneuses de la côte Atlantique. Le Sénégal ayant mal géré ses ressources halieutiques à travers des contrats léonins avec des puissances comme la Chine, voyait ses pêcheurs, notamment ceux de Guet Ndar, priser les eaux mauritanniennes. Les accrochages avec les gardes côtes mauritanniens occasionnaient souvent des morts et une situation déplorable. Malgré les accords de pêche, Nouakchott a toujours été méfiant et redoutait le manque de sincérité et de respect du Sénégal sur les accords conclus entre les deux pays . Au moment où les licences de pêche accordées aux Sénégalais arrivent à leur expiration, il était plus que nécessaire d’en discuter, voire d’en trouver des solutions durables. La visite arrive donc à point nommé, et ce sujet serait certainement au cœur des discussions.
Plus important, la Mauritanie et le Sénégal partagent des gisements gaziers, voire pétroliers. Avec déjà les litiges éventuels, l’avantage de la Mauritanie sur certains sites, l’exploitation du projet Grande Tortue, il est plus qu’urgent d’entretenir des discussions constantes au plus haut niveau. Les ressources naturelles sont sources de tensions, surtout lorsqu’elles sont transfrontalieres comme l’a si bien analysé Ali Amin Mazrui (Democracy and the Politics of Petroleum). Et c’est ainsi qu’il faut prendre très au sérieux l’exploitation de ces ressources. Le Président Diomaye en fera une priorité.
D’une envergure moindre, mais d’une importance capitale, la question de l’eau avec le fleuve Sénégal. Dans le Projet et la vision des nouvelles autorités de Dakar, l’agriculture occupe une place de choix et devrait servir de levier pour notre industrialisation. La Vallée du Fleuve concentre l’essentiel de nos terres arables et bénéficie de l’avantage de l’agriculture irriguée sur la rive gauche du fleuve. Le besoin en eau du Sénégal est immense du fait du développement de l’agriculture (relativement mieux développée que celle de la Mauritanie). Cependant, vu le fonctionnement de l’OMVS, le Sénégal peine à valoriser son agriculture à cause de la gouvernance de l’eau. Si notre agriculture est appelée à monter en puissance, nous aurons besoin de plus d’eau et des infrastructures, et le scénario actuel renferme beaucoup de contraintes. Et même si la Mauritanie, le Mali et la Guinée doivent en faire de même, le développement de l’agriculture étant la tendance et une priorité un peu partout pour les Etats, des risques sérieux sont à craindre dans le futur. Nos États doivent résolument anticiper sur cette problématique et proposer un mécanisme de gestion et d’exploitation idéal du fleuve Sénégal, qui permettra notamment au Sénégal de récupérer cette manne d’eau qui se verse dans l’océan. Une gestion concertée et harmonisée aidera aussi les pays concernés à se mettre aussi à l’abri d’une guerre de l’eau, car elle considérée comme l’une des raisons de conflits les plus probables du 21 siècle. Le Président Diomaye, en fera, certainement, une grande priorité.
A suivre, prochaine partie sur la Gambie.
Dr. Ameth Diallo, Commissaire Scientifique aux Affaires étrangères et du Panafricanisme de PASTEF les Patriotes