Affrontements à Ngodiba : une dissonance qui sonne comme un rappel et un appel, par Mouhamed Abdallah Ly, Sociolinguiste. 

Ngodiba. Ce nom ne vous dit rien ? Il s’agit là du toponymed’une localité située dans la commune de Kahi qui se trouve àKaffrine. Ngodiba est connu par les populations de cette région, et même au-delà, pour être la terre d’érudits musulmans émanant principalement de la lignée fondatrice des Ndao-Kunda mais aussi de celles immigrantes des Dianéet des Ba, affiliés pour la plupart à la tijaniyya via Cheikh El Hadji Abdoulaye Niass. Pendant qu’un peu partout dans le pays, ce 2 avril 2024, les Sénégalais commentaient la prestation de serment du président BDDF suivie de la cérémonie de passation de service avec son prédécesseur, les populations de Ngodiba, elles, affrontaient les forces de l’ordre. « Hétérotopie » ! Pourquoi Ngodiba est-il sorti du narratif, dominant ce jour-là, d’un Sénégal tranquille, réconcilié avec lui-même, retrouvant son lustre de vitrine démocratique étincelante et de pays où il est permis d’avoir à nouveau espoir ? C’est que ce jour-là, jour de ramadan et de lendemain de pâques, des agents de la compagnie privéechargée de l’exploitation de l’eau potable en milieu rural,accompagnés de gendarmes, sont allés dans ce paisible village pour procéder à la saisine des branchements d’eau, au prétexte de sévir contre des factures impayées. Face à ce geste attentatoire à la dignité et devant la perspective de devoir rompre le jeun sans disposer de l’eau potable pour se désaltérer, faire ses ablutions, se laver, les populations ont laissé éclater leur colère. Une colère que ne tarderont pas à réprimer les forces de l’ordre à l’aide de grenades lacrymogènes. En réalité, à Ngodiba, même si l’OFOR (Office des forages ruraux) y a installé en début d’année un forage flambant neuf censé faciliter l’approvisionnement en eau des habitants, certains parmi eux n’ont eu de cesse de dénoncer le coût du liquide précieux et ont estimé ne pas avoir de quoi payer les factures devenues exorbitantes. Il faut dire que d’après plusieurs témoignages, des résidants ont vu leurs factures être multipliées au quintuple. Si certains habitants ont pu éponger leurs factures, ils n’ont pas manqué pour autant de décrier la faiblesse de l’approvisionnement, la gestion mauvaise à leurs yeux de l’eau par la compagnie qui en a la charge et la cherté du tarif du mètre cube. 

L’allocution du président Faye, la veille de la fête de l’indépendance, a été plébiscitée dans les réseaux sociaux et dans les débats médiatiques qui en faisaient le débrief. Les commentateurs ont semblé être très séduits par ses annonces dans les domaines de la lutte contre la corruption, la fraude et le détournement des deniers publics, la protection des lanceurs d’alerte, la digitalisation de l’administration, la réforme de la justice et du système électoral, la moralisation de la vie politique avec l’exemplarité qu’il a affichée en démissionnant de son poste de SG du PASTEF mais surtout, les commentateurs ont salué son intention de croiser le fer contre la vie chère. Justement, « l’eau chère », notamment en milieu rural, est une question à laquelle le président Bassirou Diomaye Diakhar Faye attache du prix. Non seulement, la question de la privatisation des forages publics et des réseaux d’adduction d’eau est prise en charge dans l’offre programmatique de la coalition « Diomaye Président » (Le Projet pour un Sénégal souverain, prospère et juste) mais l’on se souvient que lors de sa toute première conférence de presse, en compagnie du Premier ministre Ousmane Sonko, juste après leur élargissement des liens de la détention, le président Faye, alors candidat à la présidentielle, avait dénoncé le fait que l’eau soit devenue plus chère en milieu rural que dans la capitale et il avait dans une séquence émouvante raconté comment sa famille avait été privée, faute d’installations idoines, de l’eau potable de nombreuses années durant. Un problème qu’il finira par régler à la faveur des premières bourses qui lui parvinrent lorsqu’il fut admis au concours de l’École Nationale d’Administration. Les populations de Ngodiba comme celles de tous les villages du Sénégal peuvent donc vivre avec l’espoir que le problème de la gestion prédatrice et spoliatrice de l’eau, en milieu rural, sera pris à bras-le-corps par le nouveau régime qui leur en a fait la promesse. Et peut-être même qu’il est permis, en ces temps d’espérance, de rêver qu’à la faveur de l’exploitation des hydrocarbures, ce bien universel qu’est l’eau quittera la sphère des biens marchands pour être définitivement considéré comme un bien public accessible, en quantité et en qualité, à toutes les Sénégalaises et à tous les Sénégalais. 

Quoi qu’il en soit, l’affrontement regrettable de Ngodibasurvenu entre deux évènements, la prestation de serment du président Faye et la célébration de la fête nationale, sonne à la fois comme un rappel et un appel. Le rappel est dans l’urgence qu’il y a à s’occuper dare-dare des « vulnérables » et des « déclassés » et en même temps à mieux et davantage prioriser dans les politiques publiques la problématique de l’équité territoriale et sociale. L’appel quant à lui est adressé au tandem Faye/Sonko : continuez messieurs à rester très proches des populations, en dépit des exigences du protocole, des agendas chargés, des voyages, que ne manqueront de vous imposer vos nouvelles charges etc. car le secret de l’empathie est dans la proximité.

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