L’histoire politique du Sénégal est parsemée d’évènements à la fois heureux et malheureux, mais personne n’aurait imaginé une telle folie aussi invraisemblable qu’ubuesque. Par une boulimie débordante et un égoïsme effarant, un homme vient de plonger le Sénégal dans un avenir incertain. Le samedi 03 février 2024, en décidant, de manière illégale, d’abroger le Décret de convocation du collège électoral publié en fin novembre 2023, le Président Macky SALL a osé l’imaginable dans un pays de longue tradition démocratique. Décider d’annuler net un processus électoral à moins de 10 heures de l’ouverture de la campagne de l’élection présidentielle du 25 février 2024, ce n’est ni plus ni moins qu’un coup d’Etat constitutionnel. Celui qui se gargarisait, il y a quelques mois, pour l’envoi de troupes de la CEDEAO pour rétablir l’ordre constitutionnel au Niger, vient d’opérer un odieux coup de force dans son propre pays à quelques semaines de la fin de son second et dernier mandat. Encore une balafre de trop sur le visage de la démocratie sénégalaise administrée vulgairement par « un groupe de putschistes » aux prétexte fallacieux. Les conséquences économiques, politiques, sociales de ce coup de folie seront désastreuses. Si Macky SALL ne recule pas, le Sénégal traversera l’une des périodes les plus périlleuses de son histoire politique. Un dangereux précédent intolérable !
Au regard des textes législatifs et réglementaires qui encadrent le fonctionnement de la République du Sénégal, tenant également compte du contexte, le président de la République n’a ni le droit ni les prérogatives pour annuler l’élection présidentielle du 25 février 2024. L’article 31 de la constitution dit ceci : « le scrutin pour l’élection du Président de la République a lieu quarante-cinq jours francs au plus et trente jours francs au moins avant la date de l’expiration du mandat du Président de la République en fonction ». Les seuls motifs qui peuvent faire évoluer ce calendrier sont clairement indiqués sur l’alinéa 2 de ce même article cité. Il s’agit de vacance de la Présidence, par démission, empêchement définitif ou décès. Dans ce cas de figure, le scrutin aura lieu dans les soixante jours au moins et quatre-vingt-dix jours au plus, après la constatation de la vacance par le Conseil constitutionnel. Tout acte posé qui modifie le processus de l’élection du président de la République, en dehors de cette voie constitutionnelle, peut être qualifié d’acte d’agression à l’endroit de notre loi fondamentale. Par conséquent, cela peut être qualifié de haute trahison.
En empruntant la voie parlementaire pour maquiller les responsabilités de l’exécutif à travers une proposition de loi de modification de l’article 31 de la constitution, le crime devient plus lourd et cynique. D’après l’article 103 de la constitution, « la forme républicaine de l’Etat, le mode d’élection, la durée et le nombre de mandats consécutifs du Président de la République ne peuvent faire l’objet de révision ». C’est pourquoi, les députés du PDS en complot avec ceux de BBY ont commis un double crime institutionnel :
– Premièrement pour des allégations sans preuves contre deux vaillants juges constitutionnels, ils ont fomenté une crise imaginaire entre pouvoirs judiciaire et législatif, un pain béni désespérément attendu par Macky pour tenter de rester encore au pouvoir au-delà de la fin de son second et dernier mandat ;
– Deuxièmement pour avoir tenté de prorogé de manière illégale le mandat du président de la République à travers de honteuses subterfuges lexiques et de procédés anti-constitutionnels. L’utilisation de la notion de « réaménagement du calendrier électoral » prouve à suffisance la cruauté et la carence républicaine et patriotique des porteurs d’une telle initiative aussi scandaleuse au mépris de ses conséquences désastreuses.
Submerger de honte, les députés comploteurs ont, durant toute la journée du vote de la sinistre proposition de loi, adopté un silence coupable extraordinaire et ridicule. Finalement, ceux qui suivaient les travaux en direct sur les chaines de télévision ont été choqué par le rituel robotique du président de la Commission des lois et de son rapporteur, avec une rengaine à la limite infantile, « Monsieur le Président, je demande la poursuite des débats ». En réalité, il n’y avait aucun débat. Après les questions préalables, les avaliseurs du coup d’Etat ont voté la proposition de loi au forceps sous bonne escorte des éléments de la gendarmerie, après avoir sorti manu militari de la salle les députés qui exigeaient qu’un débat ait lieu. La pratique risque d’être érigée en règle dans la gouvernance violente du régime.
C’est un euphémisme de dire que les processus électoraux au Sénégal se déroulent sans incidents. Depuis 1960, des élections sont toujours émaillés d’incidents malheureux et de conflits avec parfois des pertes en vies humaines, mais les acteurs arrivent toujours à surmonter les difficultés en apportant des solutions idoines. L’élection présidentielle par laquelle le Président Macky SALL avait obtenu son premier mandat est incontestablement l’élection la plus mouvementée et douloureuse, tant dans la phase de préparation que celle opérationnelle. L’année pré-électorale a été très mouvementéeavec à la clé les évènements historiques du 23 juin 2011. Durant la campagne de février 2012, une dizaine de morts a été enregistrée dans des manifestations violentes contre la troisième candidature de Maître Abdoulaye WADE. Malgré tout cela le processus électoral est arrivé à son terme. A cette époque, le Président Macky était l’un des rares candidats à s’ériger en bouclier contre tout report. D’ailleurs, il n’y a point de comparaison entre 2022 et 2024. En 2024, en dehors du conflit imaginaire provoqué ; c’est du vent, un calme plat règne partout dans le pays.
Par ailleurs, en 2016, le Président Macky SALL n’était pas passé par la voie parlementaire pour tenter de réduire la durée de son mandat de sept à cinq ans pour respecter sa parole. Il avait préféré recueillir l’avis du Conseil constitutionnel, qui lui avait signifié l’intangibilité de la durée du mandat du président de la République. Alors, pourquoi se rabattre cette fois-ci sur l’Assemblée nationale pour rallonger un mandat dont on sait déjà intangible ? C’est là tout le problème de l’Assemblée nationale, un groupe d’hommes et de femmes cupides au service exclusif de l’exécutif.
Tous les esprits démocrates souffrent le martyre actuellement au Sénégal. Dans les bureaux, dans les chantiers, dans les marchés, dans les rues comme dans les salons, partout, les sénégalais se sentent trahis abusés par un régime comploteur et violent. Certains ont les moyens et les conditions d’exprimer leur indignation sous diverses formes, par contre la majorité des sénégalaise suffoque dans leur lourd et pénible silence. Tous ces sénégalais partageaient une seule et unique occasion de s’exprimer calmement par les urnes le 25 février 2024. C’est cela que le putsch vient de confisquer.
Autant les augustes dirigeants tirent vers le haut leurs institutions, autant les pitres en impriment de vilaines taches. Le Sénégal continue de subir la défectuosité éthique de ses hommes politiques, adeptes des combines sournoises et nauséabondes pour la défense d’intérêts stricts personnels. C’est une pratique, un système ancré dont on ne pourrait pas se débarrasser facilement. Cela nécessite sacrifice et endurance. L’ère Macky SALL est le summum de l’instrumentalisation des institutions, des arrangements sombres, d’utilisation des leviers socio-culturels et religieux à des fins politiciennes. L’objectif demeure inique et unique, garder le pouvoir quoi qu’il en coûte au peuple, tant pis pour l’image de la démocratie sénégalaise.
Le Sénégal vit actuellement l’une des transitions de système politique ou de gouvernance les plus douloureuses. L’enjeu n’est pas seulement une troisième alternance. Oui, la question est beaucoup plus profonde que cela. Sans en rendre compte,une révolution est en marche. Certes, l’échéance peut être perturbée, mais elle ne saurait être annulée par un Décret, car les racines de la plante sont déjà très profondes et les tentacules s’accrochent sur toutes les catégories socio-professionnelles et des milieux insoupçonnés.
L’enjeu c’est le passage d’un système anachronique, basé sur les vieilles méthodes d’asservissement du peuple, de malgouvernance, d’aliénation des ressources et intérêts nationaux aux profits de lobbies nationaux et étrangers, à une nouvelle ère de raffermissement d’une fierté panafricaine reposant sur un nationalisme positif et décomplexé, d’affirmation d’une souveraineté nationale à la fois politique et économique.
Dernière cette annulation des élections ou ce coup d’Etat constitutionnel, il faudra lire une connexion des forces d’obédience libérale, qui, face à la menace de la perte du pouvoir, ont décider de taire leur conflit pour barrer la route à la candidature surprise de PASTEF, en l’occurrence Bassirou Diomaye FAYE. D’ailleurs, pour les besoins d’une communication géopolitique internationale et de justification face à la communauté internationale des nombreuses violations des droits et des libertés au Sénégal, le Président Macky SALL ne rate plus aucune occasion pour taxer les membres de PASTEF d’islamistes. Oh quelle grave manipulation et accusation contre le militantisme citoyen et patriotique, dont le seul tort est d’être engagé pour un « don de soi pour la patrie » ! La pensée unique et le parti unique sont révolus au Sénégal. Tout pouvoir réfractaire à une oppositionpolitique devra assumer les conséquences de ses actions et attitudes réactionnaires.
Ne soyons pas dupe Macky SALL s’est juste servi du PDS et d’autres complices de l’opposition pour mettre en œuvre son plan savamment ficelé entretenu et adapté en fonction des contextes pour rester au pouvoir. Il n’a jamais renoncé à son désir de briguer un troisième mandat. Déjà dans son message à la Nation du 03 du juillet 2023, il entrevoyait son retour en cas de menaces ou troubles graves. A l’absence d’une telle situation, il inventa un conflit imaginaire pour revenir de la manière la plus inattendue qu’invraisemblable. « Un vrai putsch sahélien » !
Crise ne peut être plus grave et profonde que celle causée par un coup d’Etat constitutionnel. Comment peut-on résoudre un conflit imaginaire par le truchement de la création d’une crise institutionnelle ? Pire encore le supposé corrupteur garde ses fonctions dans une ambiance trompeuse de renouvellement de confiance qui ne convainc que le dernier des plus dupes. La démission du premier Ministre est l’acte le plus élémentaire attendu dans un contexte pareil, d’autant plus que les accusations portent sur lui. Attendons la fin du jeu de dupe entre les deux hommes, car elle sera tout sauf amicale.
Cette folle aventure politique aura de sévères impacts économiques. Désormais, le Sénégal sera rangé parmi les pays dont l’environnement économique est incertain. Des projets d’investissement seront suspendus, des promesses de contrats ne seront pas honorées, des emplois seront perdus, bref le climat des affaires sera très morose. Tout cela aura des impacts très négatifs sur les revenus des populations. Logiquement les ménages les plus vulnérables suffiront davantage dans contexte international déjà très difficile. L’exploitation du pétrole et du gaz plongera davantage dans un environnement plus opaque profitable aux lobbies au détriment de notre économie.
C’est certain, si le coup de force passe, les sénégalais vivront des tensions sociales et politiques sans répit d’ici la prochaine élection présidentielle. Avec la jonction des différents syndicats des travailleurs et les acteurs de la société civile, il faudra s’attendre à des paralysies dans tous les secteurs et dans tout le pays. Aucun gouvernement ne pourrait résister face à de telles pressions, à fortiori un pouvoir en panne de légitimité. Que vaut ce risque ?
Si le coup d’Etat passe ça sera un précédent dangereux pour la République. C’est pourquoi, toutes les forces vives de la nation doivent rester mobilisées en exerçant une pression insoutenable en jonction avec les candidats à l’élection présidentielle décidés à poursuivre leur campagne. Le calendrier électoral doit être rétabli dans les plus brefs délais.
Il appartient au Conseil constitutionnel d’user de ses prérogatives d’apporter un dénouement heureux à cette situation, car le Pouvoir judiciaire doit urgemment arrêter l’aventure sanguinaire du Pouvoir exécutif. Il faudra rompre avec la démocratie cosmétique sahélienne.
Le dialogue et la pacification annoncés ne sont que de la poudre aux yeux, le pouvoir avec l’appui de ses nouveauxalliés du PDS déroulera son agenda. Par conséquent, les méthodes de confiscation des libertés, de saccage de nos acquis démocratiques vont s’accentuer dans les prochaines semaines. L’ambition de garder le pouvoir aussi longtemps que possible au mépris des règles démocratiques demeure toujours. Pour cela tous les moyens de sabotage de processus électoral, d’exclusion de manière irrégulière et illégale de tout concurrent sérieux seront de vigueur.
Si le coup de force passe ne soyez pas surpris de l’introduction abrupte et insensée d’un débat sur la question des deux mandats consécutifs.
Je ne pardonnerais jamais à Macky SALL de m’avoir ôté la fierté de vanter la démocratie sénégalaise face à des collègues étrangers.
Momath Talla NDAO