Au Sénégal, la confusion persistante entre la protection sociale et l’action sociale a entraîné une méconnaissance généralisée de l’importance et de l’étendue de la première.Trop souvent, ces deux concepts sont amalgamés, alors qu’ils recouvrent des réalités bien distinctes. Alors que l’action sociale vise à répondre aux besoins spécifiques des individus en difficulté, la protection sociale englobe un ensemble de mesures et de politiques visant à garantir un niveau de vie décent pour tous, à travers la redistribution des richesses et la mise en place de filets de sécurité sociale.
Il est plus qu’urgent pour le nouveau gouvernement du Sénégal de se pencher sur la question de la protection sociale. Bien que le programme du nouveau président évoque la couverture santé universelle, il est crucial de reconnaître que la protection sociale dépasse largement le seul domaine de la santé. Elle englobe des aspects tels que la sécurité alimentaire, l’éducation, le logement, la protection de l’emploi, la Retraite entre autres.
En ce qui concerne la couverture santé, il est impératif d’étendre cette généralisation à l’ensemble de la population. Actuellement, seuls les salariés du secteur formel bénéficient de cette couverture médicale, laissant ainsi une grande partie de la population sans protection adéquate. Pour garantir la pérennité de ce dispositif, des projections démographiques et des simulations des consommations médicales doivent être réalisées afin d’anticiper les besoins futurs et de concevoir un système viable sur le long terme.
Parallèlement, la question de la retraite constitue un autre enjeu majeur de la protection sociale au Sénégal. La grande majorité des travailleurs indépendants ne bénéficient pas de régimes de retraite, laissant ainsi une partie importante de la population sans filet de sécurité financière une fois arrivée à l’âge de la retraite. Une réforme urgente est nécessaire pour étendre la couverture retraite à l’ensemble de la population. De plus, en envisageant un système de versements volontaires, la retraite pourrait devenir un levier de financement énorme pour l’État. Avec le système actuel, les taux de chômage et l’amélioration de l’espérance de vie risquent de créer un déséquilibre financier dans le financement des retraites des Sénégalais à l’avenir.
Pour illustrer l’importance de ces enjeux, il est instructif de comparer la situation du Sénégal à celle de pays africains comme la Côte d’Ivoire et le Maroc. En Côte d’Ivoire, un nouveau système de régime complémentaire des travailleurs indépendants a été mis en place, permettant ainsi une meilleure protection sociale pour cette catégorie de travailleurs. Au Maroc, l’extension de la couverture maladie universelle a permis d’assurer un accès aux soins de santé à une plus grande partie de la population.
De tels exemples démontrent qu’il est possible de mettre en place des politiques de protection sociale efficaces et inclusives, même dans des contextes économiques et démographiques variés.
Investir dans la protection sociale n’est pas seulement un impératif moral, mais également un choix stratégique pour le développement durable du Sénégal. Avec la découverte du pétrole et du gaz, il y a un enjeu crucial de partage équitable des richesses pour financer la protection sociale dans un esprit de solidarité et de justice sociale. Si la question n’est pas étudiée dès à présent, le Sénégal risque de connaître des tensions sociales et un déséquilibre financier, poussant éventuellement à repousser l’âge de la retraite comme cela a été fait en France. Ce serait alors le “gatsa gatsa de la réforme des retraites”.
En conclusion, la protection sociale représente un pilier essentiel pour le développement et le bien-être des citoyens, tant sur le plan individuel que collectif. En France, par exemple, où le système de protection sociale est particulièrement développé, les dépenses sociales représentent près de 31% du PIB, démontrant ainsi l’ampleur de l’engagement de l’État envers ses citoyens. Ces investissements ne sont pas seulement des charges pour l’État, mais également des investissements dans l’avenir, favorisant la stabilité sociale, la cohésion et la croissance économique.
Pour toute nation aspirant au développement, la mise en place d’un système de protection sociale solide est indispensable. C’est un outil essentiel pour réduire les inégalités, promouvoir la dignité humaine et assurer la stabilité sociale. Les enjeux financiers pour l’État sont importants, mais ils sont largement compensés par les bénéfices sociaux et économiques à long terme.
En définitive, le bien-être d’un citoyen ne peut être pleinement réalisé sans une protection sociale adéquate. Investir dans la protection sociale, c’est investir dans l’avenir de toute une nation, en garantissant à chacun la sécurité économique nécessaire pour mener une vie digne et épanouie.
Thierno DIALLO Actuaire Assurance & Protection Sociale
Expert en Gestion des Risques Financiers