Le serment du Président par le prisme de l’applaudimètre. Par Mouhamed Abdallah Ly (MONCAP)

Le rideau est tombé ! La cérémonie de prestation de serment du président Bassirou Diomaye Diakhar Faye, a vécu ce 2 avril 2024 dans un Centre International de Conférences Abdou Diouf (CICAD) qui a fait salle comble. Le centre des expositions du CICAD s’est transformé, quelques heures durant, en une Afrique en miniatures. En effet, des chefs d’État, des premiers ministres, des diplomates, des membresdu patronat, des notabilités religieuses et coutumières, desmilitants de la diaspora, des adhérents de la Riders Team (patriotes en moto), des étudiants et des paysans, etc. etc. se sont côtoyés le temps d’une cérémonie qui n’a pas manqué de facétie d’ailleurs. Il en a été ainsi parce qu’un ex détenu a pu se retrouver à côté d’un officier, un candidat recalé a été placéen face des membres du Conseil constitutionnel… 

Si faute d’un audimètre fiable, il n’est pas possible de mesurer le nombre de spectateurs et d’auditeurs qui ont suivi, en direct,l’évènement à travers les médias, nul doute qu’il a battu des records d’audience. Des esprits espiègles n’ont pas manqué d’ailleurs de relever, sur les réseaux sociaux, que le nombre de« vues » de la RTS sur la toile a grimpé ! Suivant la dialectique du champ et de l’hors-champ de l’anthropologue français Laplantine qui stipule que ce qui se déroule hors-cadre est parfois autant, voire plus significatif, que ce qui se donne à voir à travers les écrans, il peut être édifiant, au lieu de mesurer l’audience, de tenter plutôt de décoder ce que les ovations et les standings ovation du public ont voulu dire. 


Désir insondable de souveraineté populaire 

Le storrytelling du Président du Conseil constitutionnel, monsieur Badio Camara, sur la démocratie sénégalaise a été ovationné, notamment lorsqu’il a narré ceci : « Des amis en Afrique nous disent souvent que chaque fois que le pire est prédit au Sénégal en raison de fortes tensions et d’animosités exacerbées, les Sénégalais arrivent toujours à retomber sur leurs pieds comme si de rien n’était. Forts de ce constat, ils nous demandent : mais quel est donc votre secret ? A mon avis, le secret est dans le bulletin de vote. Plus précisément, dans l’intime conviction et la claire conscience des citoyens électeurs que leur bulletin de vote peut, décisivement, changer le cours de leur destin (…) ». Le public s’est retrouvé dans le narratif de « l’exception démocratique sénégalaise », c’est-à-dire celui d’un pays qui a toujours refusé les guerres civiles et les putsch militaires, pour régler ses contradictions majeures de manière démocratique et pacifique, en dépit de récurrents soubresauts les uns plus périlleux que les autres ; les derniersen date étant les tentatives de report de la présidentielle venues achever une longue séquence de criminalisation de l’opposition politique et de musèlement des voix discordantes de la société civile et de la presse. Le président Faye a d’ailleurs été lui aussi longuement ovationné pour avoir promis ceci : « Le Sénégal, sous mon magistère sera un pays d’espérance, un pays apaisé, avec une justice indépendante et une démocratie renforcée. Telle est ma promesse, sur la foi du serment que je viens de prêter devant cette auguste assemblée ». Incontestablement, à travers les ovations nourries du président Faye et du président du Conseil constitutionnelrelativement à des aspects de leurs allocutions sur la démocratie, les invités ont semblé vouloir rappeler les exigences fortes, en la matière, d’un peuple qui a une très haute idée de sa tradition et de sa culture démocratiques.  

Désir ardent de souveraineté nationale 

Le public a réservé un accueil chaleureux à tous les dirigeants des États du Sahel présents ou représentés. C’est là de toute évidence une prime à leur combat souverainiste. Ces dirigeants, loin de s’enorgueillir d’un « dessert colonial » ou de se dépêcher à Paris pour crier « Je suis Charly », bref loin de multiplier les signaux de servitude volontaire, ont su êtreles porteurs des aspirations de leurs peuples à la souveraineté. Refusant de se perdre dans un ailleurs incontrôlé et incontrôlable, ils ont su marcher, d’un même élan, avec leurs jeunesses qui entendent résolument écrire leur propre histoire et tracer leur propre trajectoire. Les invités ont également semblé vouloir lancer des messages aux dirigeants présents et habitués à aller à rebours de la ligne souverainiste : à bas l’aplaventrisme des institutions régionales et continentales envers le paternalisme des ex puissances coloniales ! A bas le soutien des puissances impérialistes à des présidents qui s’éternisent au pouvoir ! A bas la mainmise des multinationales sur les fleurons de nos économies ainsi que les traitements de faveur et les cadeaux fiscaux qu’on leur fait couramment ! Pour avoir su montrer qu’il a décodé cesmessages, en affirmant : « J’entends clairement la voix des élites décomplexées qui disent haut et fort notre aspiration commune à plus de souveraineté (…) », le président Faye a été très applaudi là également. 

Désir de sang neuf 

Si tous les dirigeants des États du Sahel ont été applaudis, le président Mamadi Doumbouya a clairement remporté la palme. En réalité, il a été ovationné dès que les écrans géants l’ont montré en train de descendre de sa berline et d’arpenterle tapis rouge qui mène à la salle, dans une démarche altière. Des commentaires qu’il m’a été donnés d’entendre dans la salle, le boubou africain qu’il a arboré et surtout sa jeunesse ont plu au public. J’ai même entendu une dame dire : « Voilà, c’est ce qu’il nous faut. Des présidents jeunes ! ». A ma gauche, un jeune avocat et maire du PASTEF dans une des communes à l’Est de la capitale me souffla un tantinetblagueur : « si j’avais été à la place de Diomaye, j’aurais réservé ma première visite officielle au Cameroun. Figures-toi qu’il n’avait que deux ans lorsque Biya est arrivé au pouvoir ». LOL ! En réalité, le public, à travers ses applaudissements a bruyamment exprimé son ras-le-bol du déficit de renouvellement du personnel politique. Il a dit son marasme de la sclérose des idées qui caractérisent les élites politiques traditionnelles interchangeables et surtout coutumiers des alternances sans alternatives. Il a semblé vouloir dire qu’il aspire à l’émergence de sang neuf. Cette demande a pu d’ailleurs être renforcée par l’affichage sur les écrans géants d’un ancien ministre de l’intérieur de Macky Sall en train de somnoler, certainement écrasé par le ramadan et le poids de l’âge. Le public s’est gaussé de lui aussi bien lorsqu’il piquait du nez, que lorsque quelques minutes plus tard, on le vit égrener son chapelet emmitouflé d’un ample boubou blanc qui lui donnait les apparences d’un grand-Serigne, un des invités derrière moi osant même « han yewwuna ! » (il s’est réveillé !). Ce désir de changement générationnel a également été bien perçu par le président Badio Camara qui n’a pas hésité à dire au président Faye : « Vous symbolisez la volonté de notre peuple de changer de paradigme dans sa gouvernance et de génération dans son gouvernement ». Il aurait pu ajouter « et vous savez vous montrer vous-mêmes » car aussi bien le président Faye que ses dames ont été applaudis pour ce trait de caractère. Malgré la climatisation optimale de la salle, la température y est tout de même montée d’un cran lorsque celles-ci le rejoignirent pour le congratuler et que l’une des deux, en signe de révérence, se distingua par le gestuel très africain de la génuflexion (sukk). 

Désir incompressible de rendre hommage à Ousmane Sonko

Non seulement celui qui deviendra quelques heures plus tard le premier ministre de la République du Sénégal a eu droit à de longs standing-ovation mais durant toute la cérémonie, y compris dans ses moments les plus solennels, quand bien même ce n’était que son bonnet qui s’affichait sur les écrans géants, le public l’acclamait  à tout rompre ! L’écrivain Boubacar Boris Diop, fin observateur de la vie politique de son pays et personnage fort mesuré du reste, avait comme prévenu : « Ousmane Sonko a atteint un niveau de popularité jamais égalé dans toute l’histoire du Sénégal ». Qui oserait le démentir ? Le clou aura été ce moment où le public a scandé en chœur : Sonko jërëjëf ! Sonko jërëjëf ! L’officier de gendarmerie a beau faire un rappel sur le caractère solennel de l’audience mais rien n’y fait. Bravant le risque de l’incident d’audience voire de l’accroc protocolaire le public a continué à célébrer Sonko de gaieté de cœur. Par cet accueilincandescent, le public a voulu célébrer le « maître du jeu ». Celui qui a déjoué tous les plans machiavéliques du pouvoir en adoubant le président Faye et en menant dans le secret, et de main de maître, les pourparlers qui auront facilité la transition. Le public a voulu rendre hommage au courage de cet homme qui a résisté à la diabolisation, à la judiciarisation, à la trahison, à la violence d’État, pour faire triompher un Projet de souveraineté qu’il aura de longues années durant, contre vents et marées, promu auprès de ses concitoyens. 

Avec la nomination ce vendredi 5 avril d’un gouvernement de rupture et de compétence dont la mission est de bâtir un Sénégal souverain, prospère et juste, dans une Afrique en progrès, le tandem Faye-Sonko semble avoir bien décodé le sens des acclamations de Diamniadio. « Prestation de serment validé ! » diraient les jeunes de la génération Z.

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