Le Président Bassirou Diomaye Faye a ordonné, ce mercredi en conseil des ministres, aux corps de contrôle (Ige, Ofnac et Cour des comptes) de publier leurs rapports des cinq dernières années. Sans perdre de temps, l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) s’est exécuté.
Plusieurs scandales ont ainsi été décelés dans son rapport d’enquête N°10/2021, notamment sur l’acquisition de vivres dans le cadre de la lutte contre la pandémie Covid-19.
Les marchés de vivres acquis par l’État du Sénégal durant la période du Covid-19 avait déjà fait polémique en 2020. Les noms de Rayan Hachem et du maire de Tivaouane, Demba Diop dit «Diop Sy», avaient été cités. Ce jeudi, le rapport d’enquête N°10/2021 publié par l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) et intitulé «Acquisition de vivres et autres produits et prestations de services de transport dans le cadre de la lutte contre la pandémie Covid-19, donne plus de détails sur ces graves manquements.
Un montant de 69 milliards destiné à l’appui aux populations
Dans le cadre de la lutte contre la pandémie de COVID-19 et dans le but de renforcer la résilience des populations les plus vulnérables, le Sénégal a mis en place un fonds de riposte et de solidarité dénommé « Fonds Force Covid », doté de crédits d’un montant de 1000 milliards FCFA. Dans la clé de répartition dudit fonds, un montant de 69 milliards est destiné à l’appui aux populations en vivres et en détergent, afin de les soulager des conséquences nées des mesures restrictives prises pour faire face à ce fléau. C’est ainsi que le président de la République d’alors Macky Sall a donné instruction au gouvernement, notamment au ministre du Développement communautaire, de l’Équité sociale et territoriale (Mdcest) alors dirigé par Mansour Faye, d’organiser cet élan de solidarité. Après acquisition de ses produits de consommation courante, la distribution a été engagée.
Le 17 avril 2020, l’Ofnac a reçu deux dénonciations à l’initiative de Guy Marius Sagna, mandataire du mouvement « Frapp/France Dégage », et du professeur Babacar Diop, secrétaire général du parti politique Fds. Tous les deux dénonçaient la violation des règles de transparence dans l’attribution des marchés de fourniture de riz et de transport des denrées. En effet, ils estimaient que cet état de fait constitue un « conflit d’intérêts » et dénote d’une situation de « favoritisme» par l’octroi d’avantages injustifiés à certaines personnes. Ils imputaient ces faits à Mansour Faye, beau-frère de l’ex-Président Macky Sall et ministre du Développement communautaire, de l’Équité sociale et territoriale, et à Rayan Hachem, gérant d’Avanti Suarl et d’Afri & Co Suarl ainsi qu’au député Demba Diop Sy, Directeur général d’Urbaine d’Entreprise (UDE).
Selon leurs dires, le ministre aurait accordé un marché à Diop Sy, député de son état, dont la qualité est incompatible avec celle de chef d’entreprise. Il convient de signaler que cette incompatibilité avait été dénoncée par Abdoulaye Fall « Mao », président du parti politique Alliance Patriotique Diambar pour la République (Apdr), dans le cadre du marché relatif à la gestion des ordures ménagères attribué à la même société.
Non mise en concurrence pour les marchés attribués et blanchiment de capitaux
Quant à l’homme d’affaires Rayan Hachem, il serait attributaire de deux marchés pour la fourniture de riz d’un montant de 17 milliards de F Cfa alors que son entreprise « Afri & Co » n’est pas enregistrée dans le registre de l’Apix. À cela s’ajouterait le fait qu’il n’y aurait pas eu de mise en concurrence, pour les marchés attribués à Diop Sy et Hachem, et de blanchiment de capitaux, faits prévus par la loi n° 2018 – 03 du 23 février 2018 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (article 7, a et b).
Dans le cadre des investigations de l’Ofnac, il a été procédé à des auditions, des réquisitions aux banques, une revue documentaire et à une demande de communication du rapport des activités du Comité de Suivi de la Mise en Œuvre des Opérations du Fonds de Riposte et de Solidarité contre les effets de la Covid-19 (Force Covid-19). Ainsi les personnes ci-après ont été entendues : Demba Diop dit Diop Sy, unique propriétaire de la société UDE créée en 1998 ; sa fille Marième Diop, désignée Directrice générale de UDE ; Rayan Hachem, unique fondateur et administrateur des sociétés « Avanti Suarl » et « Afri & Co Suarl », créées respectivement en 2016 et 2019 et ayant le même siège social ; Aliou Sow, Dage du Mdcest et Karamoko Cheikh Oumar Adj dit « Papis », coursier de Rayan Hachem. L’exploitation des documents comptables, bancaires, statutaires, des dossiers de marchés, du Rapport final du Comité «
Force Covid-19 » ainsi que les pièces fournies par le Tribunal de commerce hors classe de Dakar et la Cour d’appel de Dakar, ont permis d’aboutir à la conclusion suivante.
De ce qui précède, il résulte, selon l’Ofnac, que Rayan Hachem a satisfait au marché de fourniture de riz à travers ses sociétés « Avanti Suarl » et « Afri & Co Suarl », dont la constitution semble conforme à l’acte uniforme de l’Ohada relatif au droit des sociétés commerciales et du Gie Cependant, la procédure relative au contrat de gré à gré n° Riz-005/2020 est entachée d’une irrégularité relevée chez l’adjudicataire.
Banqueroute frauduleuse, présomptions de faux en écritures privées et complicité par instigation
En effet, le contrat en question a été signé par Karamoko Cheikh Oumar Adj dit « Papis » de Avanti Suarl, sur demande verbale du gérant. Ainsi, des présomptions de faux en écritures privées et de complicité par instigation sont relevées contre ce dernier et Rayan Hachem, faits prévus et punis par les articles 132 et 45 du Code pénal. Par ailleurs, il existe des présomptions de banqueroute frauduleuse contre Diop Sy telle que prévue à l’article 230 de l’Acte uniforme sur les procédures collectives et d’apurement du passif, a de mauvaise foi, « exercé la profession de dirigeant en violation d’une interdiction prévue par un Acte uniforme ou par toute disposition légale ou réglementaire d’un État partie » (article 233, 4°). En effet, en sa qualité de député, il a, dans le cadre du marché en question, exercé la fonction de Directeur général de UDE, en violation d’une disposition réglementaire, en l’occurrence le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Par ailleurs, il est ressorti des investigations que Demba Diop Sy et sa fille Marième Diop auraient usé de manœuvres frauduleuses (dissimulation, au moment de la soumission, du véritable statut de la société pourtant déclarée en faillite et objet d’une liquidation judiciaire prononcée le 19 avril 2019 par la Chambre des Procédures collectives du Tribunal de Commerce hors classe de Dakar (jugement n° 577/19). Ces faits révèlent des présomptions d’escroquerie portant sur des deniers publics (article 153 du Code pénal). En ce qui concerne les faits de violation du Code des marchés publics, il convient de souligner que, dans le cadre de la politique de riposte contre la pandémie, les procédures de dépenses liées à la lutte contre le Covid-19 ont été exclues du champ d’application dudit code par le décret n° 2020 -780 du 18 mars 2020 portant dérogation au code des marchés publics pour les dépenses relatives à la lutte contre le Covid-19. En conséquence, ces faits n’ont pas été retenus par les enquêteurs qui ont soumis le rapport d’enquête à l’Assemblée des membres de l’Ofnac.
Par Yoor-Yoor Bi