Après avoir accusé Ousmane Sonko et Pastef de tous les maux dont souffre notre pays, le verdict tombe sous la forme d’un argument d’autorité qui n’a rien en envier aux jugements péremptoires de son ancien confrère Cheikh Yérim Seck.
« En science politique, prétend t-il, c’est ce qu’on appelle populisme ».
Il est tentant de recourir à des concepts contemporains pour décrire un phénomène d’envergure nationale qui semble se caractériser par ses similitudes avec des faits qui, ailleurs, marquent le fossé énorme existant aujourd’hui entre l’establishment et les masses populaires. Le populisme, notion peu définie, est ainsi souvent mobilisé pour donner un visage à la montée des extrêmes partout dans le monde, qu’il s’agisse de l’accès de M. Donald Trump à la présidence américaine, du divorce du Royaume-Uni avec l’Union européenne (Brexit), ou encore de l’importance grandissante des mouvements d’extrême droite dans les démocraties européennes.
A défaut de pouvoir définir clairement le populisme, on pourrait au moins essayer d’en saisir les caractéristiques : le discours populiste cherche le plus souvent à réveiller le sentiment d’appartenance nationale, en présentant l’Autre (l’étranger) comme dangereux et en simplifiant à l’extrême des questions publiques complexes (qu’elles soient d’ordre politique, économique et social) pour des visées purement électoralistes. On retrouve ici les traits de beaucoup de ceux qui sont aujourd’hui appelés « populistes ». Mais l’élasticité de cette notion tient au fait qu’elle manipule assez légèrement le rapport subtil et complexe entre amour de la patrie, gestion de l’altérité, action politique.
Nul ne peut disconvenir du grand danger qu’il y a à fonder son action politique sur la haine de l’Autre et sur une volonté de contribution techniquement simpliste, en nourrissant le rêve d’un retour vers un hypothétique âge d’or national et en cultivant l’idée d’un souverainisme suicidaire dans une époque de grande interpénétration des économies et de compénétration des sociétés. Sous cet angle, ne peut-on pas reprocher à Ousmane Sonko, leader du parti PASTEF, d’entretenir un discours populiste, avec sa volonté affichée de retrouver une certaine souveraineté économique (renégociation des contrats pétroliers, position sur le franc CFA etc.) et de dénoncer des pratiques peu orthodoxes?
Il convient d’abord de faire un rappel général très évident : la notion de populisme (comme la plupart de nos “ismes“ contemporains) ne sert pas qu’à qualifier un phénomène, elle vise aussi à disqualifier les auteurs qui le portent. Cette lapalissade devrait pourtant susciter une peur : quand un scientifique ou un intellectuel mobilise cette notion, ne devient-il pas militant de la cause de l’establishment, alors que son rôle devrait consister seulement à expliquer le phénomène et non de condamner ses auteurs ? Il est vrai que la neutralité axiologique est un idéal et qu’il n’existe pas de travail scientifique “neutre“ au sens vrai du terme. Mais la prudence devrait être de mise dès lors que l’on a conscience de sa position partisane et de son penchant subjectif.
Cette remarque devrait suffire pour ne pas traiter Ousmane Sonko de populiste. Mais comme l’establishment en a l’habitude partout, avec ses intellectuels parfois naïfs, parfois complices, au lieu de se remettre en question, d’interroger l’échec des partis traditionnels à porter de grands projets de société, la classe politico-intellectualiste qui le constitue se met souvent, avec une facilité incroyable, à jeter le discrédit sur des mouvements dont la popularité les menace. Pis, il n’y a pas plus condescendants que des concepts comme le populisme quand l’establishment l’utilise, en oubliant combien il a contribué à détruire la démocratie et la défense de l’intérêt général. Mais malheur à ceux qui osent dénoncer ses dérives “normalisées“ !
Au Sénégal, il ne fait l’ombre d’un doute qu’Ousmane Sonko n’est pas populiste pour deux raisons : son discours a des visées électoralistes (qui ne l’a pas d’ailleurs en ligne de mire ?) mais il propose des chantiers socialement désirables et politiquement réalisables ; Sonko dénonce beaucoup mais sa pensée est féconde et clairement articulée. En témoigne son dernier livre “Solutions“. On peut bien sûr ne pas être d’accord avec ses propositions, mais c’est trop simpliste de se réfugier derrière le concept vague de populisme pour disqualifier son programme d’un coup. De toute façon, l’usage de ce concept dans la vie politique sénégalaise actuelle est peu pertinent. Sa plasticité en fait cependant une arme intellectuelle légère de petit calibre mais de résonance lourde, à la disposition des intellectuels de tous les pays, compte non tenu de la spécificité des contextes nationaux.
C’est d’ailleurs dans notre contexte national que réside la réponse à la question de savoir si Sonko est populiste. Le Sénégal d’aujourd’hui comme celui hérité du colon en 1960 suscitent les mêmes questions : qui peut nier la conception néo-patrimoniale que nous avons de l’Etat et du bien public ? Qui ose dire que le clientélisme politique n’est pas l’un de nos maux les plus profonds ? Qui ne serait pas triste de voir combien la vie est difficile dans nos contrées quand des richesses naturelles extraordinaires et des niches fiscales énormes existent et sont mal utilisées (au sens éthique et pratique du terme) ? Qui ne serait pas enfin prêt à (re)disposer de sa souveraineté économique pour alléger les souffrances sociales peu dignes du Sénégal du 21ème siècle?
Quand on regarde assez froidement ce que nos dirigeants politiques font du pouvoir que nous leur avons confié, on est peu fier de se réclamer d’eux et de ce qu’ils représentent. Il n’est pas sûr qu’il nous faudra une révolution pour sortir de nos traumatismes sociopolitiques, mais il très certain que seule une réforme radicale corrigera la situation actuelle. Evidemment, le fossé est toujours énorme entre l’establishment et ceux qui portent un projet de réforme radicale, comme le gap est vraiment grand entre les partis traditionnels des démocraties occidentales et les populistes qui apparaissent aujourd’hui sur leurs scènes politiques. Mais retrouver un fossé pareil au Sénégal, aussi profond soit-il, ne fait pas de ceux qui veulent transformer radicalement le pays, comme Ousmane Sonko, des populistes. Le raccourci serait peu rigoureux !
Membre du cabinet du président Sonko