Nous sommes à la fois les victimes et les bourreaux de nos misérables conditions politiques et démocratiques. Nous ne sommes plus dans un État de droit, mais dans un État éloigné de la fausse image qu’on présentait jusqu’ici aux yeux du monde
Nombreux sont ceux que rien – ni l’origine sociale, ni le parcours et encore moins le profil ou l’attitude – ne prédestinent à un sort carcéral. C’est malheureusement le cas de nombre de ces militants politiques, activistes, journalistes, chroniqueurs, fonctionnaires, jeunes méconnus ou connus, dont le respect, la courtoisie, le sérieux, l’excellence, le talent, la tenue et la retenue ancrés dans une admirable élégance existentielle font d’eux des citoyens d’exception aux yeux de tous ceux qui les ont connus, reconnus ou côtoyés. Leur seul « tort » étant de résister, comme la Constitution le permet, à un régime tyrannique périmé non recyclable adossé à un système « irrécupérable » briseur de destins nationaux prometteurs. Au rythme de ces rafales d’emprisonnements, de l’amour de mettre en cellules et de poser des menottes sur les droits et libertés les plus élémentaires, on n’est pas à l’abri de voir la prison devenir une nouvelle double nationalité dans ce pays, sans possibilité de faire valoir une quelconque immunité.
Personne n’est, a priori, vouée à souffrir d’un destin carcéral ; même ceux qui s’y retrouvent avant la naissance, prisonnier du ventre d’une mère détenue. Le comble de la méchanceté à subir avant le berceau. On emprisonne ainsi lâchement des fœtus. Quelle cruauté ! Mais encore, on emprisonne l’excellence et on glorifie la médiocrité tous âges confondus. Il suffit de s’arrêter sur le profil et l’itinéraire de ceux qui sont choisis par la populace pour nous diriger pour se rendre compte à quel point nous sommes à la fois les victimes et les bourreaux de nos misérables conditions politiques et démocratiques. Tel est le paradoxe de notre pays et du régime en place qui, s’il se pense suffisamment fort, ne devrait pas avoir peur des opinions et expressions verbales citoyennes quelles qu’elles soient. Ils ont fait du Sénégal une « démocratie illibérale », cherchant, dans une panique injustifiée, à déguiser une liberté d’expression en appels à l’insurrection, pour mieux propager les arrestations qui s’abattent sur d’honnêtes et vertueux citoyens telle une épidémie.
La prison est devenue de fait une machine à broyer des opposants, c’est-à-dire des citoyens ayant commis le « crime » d’avoir une autre vision idéologico-politique et un autre projet de société, devenus les « cibles privilégiées » du pouvoir. Donnez-leur un opposant, et ils vous monteront une affaire pour aller le cueillir. Peu importe que le travail soit bien fait ou non. L’essentiel est d’obtenir le résultat voulu par le chef. Cette loi des séries est un classique de notre vie politique. De Mamadou dia, à Valdiodio Ndiaye, en passant par Omar Blondin Diop, Abdoulaye Wade, Sonko et les centaines d’autres que je ne pourrais pas citer ici. La liste est top longue. Vivement le jour où on leur consacrera une journée nationale commémorative pour se rappeler des œuvres de salubrité politique qu’ils ont entreprises au Sénégal. Eux qui ont décidé de devenir opposants contre l’injustice après tout ce qu’une telle décision implique dans notre pays qui n’a plus rien de démocratique.
Ici, le mauvais ce n’est presque jamais celui qu’on condamne, mais celui à qui, l’on déroule le tapis rouge ; celui-là qui viole les principes républicains et démocratiques d’un État de droit. Rien d’étonnant, puisque nous ne sommes plus dans un État de droit, mais dans un État éloignée de la fausse image qu’on présentait jusqu’ici aux yeux du monde. Désormais, nous sommes la risée du continent. Nous ne figurons même pas dans la catégorie des « poids plume » des régimes démocratiques et notre licence nous est de fait retirée pour défaut et insuffisance de résultats conséquents. Une démocratie en captivité, voilà ce que nous sommes devenus. Une démocratie en captivité et en route vers le peloton d’exécution si nous n’y prenons pas garde.
Devenir opposant dans ces contrées « hors-la-démocratie », c’est courir le risque de finir en prison, à moins de se faire tout petit et de pleurnicher les genoux, la dignité et l’honneur à terre devant un khalife influent pour être sauvé de la détention. Pleurer devant le peuple tel ce Khalifa ne vous sauvera point. Est-ce normal ? Bien sûr que non. Mais la peur de se retrouver avec des adversaires forts conduit à tous les excès, abus et dérives. Est-il acceptable de laisser un président profiter de sa situation pour disposer comme il l’entend de la liberté ou non de ses opposants et de les éliminer de la compétition électorale ? Négatif. En démocratie, on n’empêche pas les opposants de combattre en première ligne. Les combattre en les mettant derrière des grilles est l’expression d’une absence de courage, cette qualité des hommes d’honneur. Le drame de ce type de présidents est qu’ils pensent, parce qu’ils sont au pouvoir, que tout leur appartient : la vie, le destin, la liberté, la dignité, le peuple, l’honneur des gens, le bien public, l’intérêt national, la Constitution, la souveraineté nationale, la justice, le droit, le calendrier électoral, l’Assemblée nationale, les députés, etc.
L’élection sera le vaccin qui mettra un terme à cette « folie arrestatoire » attentatoire à la garantie des libertés publiques fondamentales. Il ne leur reste désormais qu’à réactiver la peine de mort pour anéantir tous les opposants, après avoir cherché à les neutraliser par le droit, le parrainage, les histoires de mœurs et les technologies numériques. Ces grèves de la faim sont de fait des « peines de mort » destinés à mutiler toute résistance. Comment comprendre qu’un être psychologiquement équilibré, doté de raison et d’un minimum d’humanité puisse trouver du plaisir à envoyer dans ces sales prisons, déjà archicombles, des opposants, c’est-à-dire des citoyens qui ont commis ce « crime de lèse-majesté » d’avoir une vision politique ou idéologique différente sur ce que devrait être la société et qui partagent avec lui la scène politique, avec donc potentiellement la possibilité de le remplacer ? Prendre les corps, broyer les âmes, ruiner la santé dans l’étau de la persécution arbitraire, du mensonge, de l’intimidation et de l’humiliation, est-ce bien raisonnable ?
On découvre avec ces gens-là ce que les hommes sont capables d’inventer en mal, par méchanceté, par peur, par faiblesse, par cynisme pour de l’argent, pour des postes, pour des privilèges et pour le pouvoir : l’arrestation sans crime et l’instruction sans objet. L’on traque derrière la banalité des mots la gravité des motifs d’inculpation. Changer les mots, c’est changer les choses. On tombe ainsi dans les gros mots pour espérer ouvrir de grands dossiers et entreprendre de grands procès : atteinte à la sûreté de l’État, appel à l’insurrection ou discrédit sur les institutions, comme si par leurs attitudes antirépublicaines, antidémocratiques et injustes, ils ne portaient pas déjà atteinte eux-mêmes à la continuité rassurante de l’État et la sacralité des institutions aussi bien visibles qu’invisibles telle que la sincérité, la probité, l’honnêteté, l’intégrité. Comme le disait Albert Camus : « On ne prostitue pas impunément les mots. Après le carnaval des procès, viendra le temps de l’élection, puis éventuellement celui des transes collectives ou hystéries populaires. Au peuple, et non à eux, de choisir ce que sera notre destin national.
Aussi, dois-je dire à tous ces détenus victimes de la méchanceté d’un homme : tenez-bon ! Nul ne peut assassiner votre destin. Leur méchanceté ne rendra pas vos combats et vos paroles inutiles. Bien au contraire. L’histoire nous enseigne, Falla, que les fleurs du bien résisteront et triompheront toujours des épines du mal. Tu as pris le parti d’être une fleur en leur laissant le soin d’incarner l’épine dorsale du mal. Croyez-moi ! Dieu, le « maître des horloges », a le chronomètre en mains. Le moment venu, Il remettra tout le monde à sa place. Les secondes de doute deviendront ainsi des minutes de conviction et les minutes de conviction des heures de gloire. Le compte à rebours a commencé en attendant les règlements de compte. La chasse à la 1ère sorcière et aux grands sorciers politiques, médiatiques, religieux, judiciaires, et autres honorables faux types, pourrait être ouverte avec l’arrivée d’une nouvelle majorité.
Aux dignes fils et fiers patriotes de ce pays, vous qui refusez de suivre le troupeau, sachant bien ce que disait Alexandre Soljenitsyne : « à mouton docile, loup glouton », la patrie reconnaissante, les pages de notre historiographie politique vous réserveront de belles pages et de grands développements à la hauteur de vos qualités et identités respectives, respectables et exceptionnellement remarquables. Le temps dure pour rendre les choses transparentes. Nul n’est censé ignorer cette loi comme nous l’enseigne le Livre de la Vie.
Courage donc dans ce « contre-la-montre » que vous remporterez en dépit et contre ces assauts de l’arbitraire érigé en système acharné et arcbouté au mal. Car, il faut beaucoup de courage pour dire non dans ce banquet des acquiescements opportunistes dévorant par leur complicité gloutonne toute protestation politique, citoyenne et patriotique. Le mal lui ne requiert aucun courage. La lâcheté lui suffit. Aussi, prêts à servir et s’asservir au mal, nuisent-ils au bien à la portée des légitimes intentions et ambitions. L’énorme force utilisée pour détruire les opposants et les esprits libres aurait pu utilement leur servir à libérer des énergies productives indispensables à nos existences essentielles.
La philosophie et la pédagogie qu’il y a derrière l’idée de justice voudraient que la vertu triomphe du vice. Ce n’est pas ce que je vois dans ce pays où la vertu est punie et le vice primé. La démocratie destinée à laver les sociétés de ces impuretés fonctionnelles et égocentriques semble avoir été profondément souillée par le règne de l’injustice. Comment s’en étonner, quand on sait à quel point les actes les plus ignobles sont ici source de prospérité et non des raisons d’être châtiés par le tribunal de la raison et de la vraie justice ; celle qui ne se contente pas d’être effrayante que pour les opposants et les citoyens libres de toute forme d’intimidation et de persécution. La justice ne saurait être le « bras armé » de la cruauté du politicien sans foi ni loi.
Il me sera toujours difficile et pénible de comprendre comment se fait-il que individus bien formés, très bien informés des faits, capables de penser et de juger librement et rigoureusement acceptent tout d’un homme dont ils savent à quel point il est viscéralement accroché à la volonté de neutraliser et donc nuire au bien et de servir le mal ? Comment se fait-il qu’ils puissent accepter de suivre cet homme dans ses caprices et dérives les plus absurdes ? Soyez résolus de ne plus servir et vous voilà libres de toute accusation de complicité et d’aliénation. Le destin sociétal doit être la priorité sur le destin individuel.
D’où l’augmentation de mon degré d’incompréhension sur le devenir répressif de notre société aujourd’hui ; de cette « boulimie arrestatoire » propre aux régimes totalitaires, devrais-je dire, qu’ils font d’ailleurs si mal qu’il nous faudrait penser à ouvrir des « masters en arrestatologie » dans nos universités pour leur rappeler qu’il y a des heures, des lieux, des règles et donc toute une procédure à respecter. C’est tout un chapitre à consacrer aux futures assises de la justice pour rappeler qu’une simple convocation suffit plus que toutes ces manœuvres zélées, idiotes et folkloriques. La justice ce n’est pas du cinéma. Les désirs doivent être soumis à la raison et la justice au droit.
La justice ce n’est pas du cirque. La justice c’est tout un circuit et une procédure. Et les arrestations ne devraient pas être aussi aisées. Aucune arrestation ne devrait être considérée comme un butin de guerre ou une « pièce à conviction » motivés par un désir crapuleux, capricieux et vicieux de conservation du pouvoir et encore moins comme une démonstration immédiate et extravagante de culpabilité. Autrement, le Sénégal deviendrait une sorte « d’archipel du goulag sous les tropiques » nous rappelant la Vétchéka, cette « sentinelle de la Révolution russe » qui se chargea de cette tâche ingrate d’infliger la répression sans jugement, notamment en concentrant entre ses mains la filature, l’arrestation, l’instruction, la représentation du ministère public, le jugement et l’exécution de la décision. Et comme l’écrit Alexandre Soljenitsyne : « C’était l’Archipel du Goulag qui commençait ainsi sa croissance maligne, et bientôt il allait envoyer des métastases dans tout le pays. » Ce pays n’a aujourd’hui rien à envier au goulag stalinien.
Les Wolofs n’ont pas tort de dire que : « Prison diommoul kéna » (qu’on peut traduire par : nul n’est prédestiné à ne pas séjourner en prison quel que soit son statut, son profil et ses qualités). Des saints, des cheikhs, d’éminents savants ou universitaires, des ministres, des personnalités exceptionnelles en qualité et en représentativité s’y sont retrouvées le plus souvent injustement. Ce n’est pas pour autant une raison d’en vanter les vertus, l’esthétique ou d’en faire l’apologie. La prison c’est l’enfer… Mais on peut cependant tirer toute une philosophie et une pédagogie de cette obsession des autocraties finissantes à vouloir surveiller et punir à tout-va, humilier et déshonorer au-delà du raisonnable, sans toujours se rappeler les finalités et principes essentiels au fondement des raisons politiques et des rationalités juridiques qui préservent de participer à de « sales affaires », tel ce « dialogue national » entre autres, qui ne conduisent qu’à de pitoyables subordinations.
La prison serait-elle, comme certains le laissent entendre, le tremplin pour espérer réussir en politique ? Ceux qui y sont envoyés méritaient-ils d’y aller ? La révolution passive doit-elle forcément mener à l’enfermement et à la privation de liberté ? Se présentant ainsi comme une sorte de rite d’initiation requérant des qualités guerrières prouvant son aptitude à endurer même les pires injustices. Cette conception erronée de l’engagement politique et du militantisme n’est que l’expression de nos imperfections démocratiques et de nos abus autocratiques. Dans ce contexte, nul n’est à l’abri de voir du jour au lendemain, sa virginité pénale écorchée par un casier judiciaire qui vous expédie arbitrairement dans une cage, surtout si vous n’êtes pas aux yeux du pouvoir tyrannique dans la bonne case partisane. On ne construit pas une société juste avec des jaloux, des envieux, des méchants, des profiteurs zélés et zélateurs.
Oui. C’est vrai. On se passerait bien de la prison, et surtout pour des délits d’opinions. Le mûrissement citoyen et patriotique ne devrait pas en démocratie nous contraindre à côtoyer toutes sortes de moisissures et de supplices immérités dans ces lieux de privation de liberté connus pour leur insalubrité maladive. Il n’est donc aucunement question de faire ici l’éloge de la prison et l’apologie de l’humiliation. La prison ce n’est point du pain bénit. Mais, comme le dirait l’autre : « A l’impossible nul n’est tenu ». Hier comme aujourd’hui encore, les prisons du monde regorgent d’innocentes victimes du système judiciaire coupable et capable du pire. Pensons tout simplement à Serigne Touba, Mamadou Dia, Mandela, Wade et à tous les autres. Ici et ailleurs. La liste est trop longue pour citer tous ceux qui ont subi et subissent encore les forçats de l’arbitraire et de la démesure.
En arrivant en prison, chers amis et amies en détention, j’imagine que vous ne vous êtes certainement pas demandé chacun pris individuellement : « qu’est-ce que je fais ici ? » ; « Je ne suis pas du coin ». On sait toujours par qui et pourquoi on en arrive là, à la faveur des accointances inappropriées entre le politique et le judiciaire. Une telle lucidité est des plus grands réconforts qui soulage le sentiment de dépit, de révolte et haine qui pourrait naître en ceux privés de liberté. En enfermant les corps, ils oublient que la résistance est d’abord et avant tout dans l’esprit et surtout dans le cœur et non pas exclusivement dans le corps à corps. Elle se manifestera, comme le permet la constitution, dans les urnes et s’il le faut dans la rue.
Mal à l’aise dans un premier temps, on finit par prendre son mal en patience en prison. « La prison est l’université du révolutionnaire (…) Les heures s’étirent, la cervelle s’éclaircit » écrit Régis Debray dans son ouvrage intitulé D’un siècle l’autre. En effet, certains, mentalement solides et psychologiquement armés, s’en sortiront métamorphosés ; des livres saints qu’ils survolaient et entrevoyaient à peine, ne pensant jamais les connaître de bout en bout, ils s’en délecteront et sortiront ce cet enfer, plus cultivés, plus matures et plus patriotiques que jamais. Ils s’enrichiront du Livre et des livres, du Texte et des textes, de l’isolement et de la solitude, de soi et d’autrui. D’autres, sans avoir été condamnés à mort, seront brisés à vie. Entre cette résurrection et cet engloutissement, il y a mille et une autres possibilités de ne pas sombrer ; de rebondir vaillamment et valeureusement. Viendront d’autres dignes patriotes pour mettre un terme à cet horrible système pire que le sida, le cancer et la covid réunis. Ils commenceront là où Sonko se sera éventuellement affaissé après Omar Blondin Diop, Mamadou Dia, Cheikh Anta Diop, Maître Babacar Niang et tous les autres. Mais pour l’instant, point d’affaissement et surtout pas d’affolement. Tout est encore possible. L’histoire des tyrans et apprentis dictateurs n’enseigne pas le fatalisme mais l’optimisme.
En attendant, ils peuvent continuer, motivés par une férocité indigne et indécente, à cueillir de nobles et fiers patriotes, avant de nous voir un jour venir nous recueillir, sans avoir besoin d’un mandat de perquisition ni des « franchises universitaires », sur ce qu’ils pensaient être immortels et infinis : la dépouille de leur pouvoir, victime de cette prison de la méchanceté qui empoisonne leur cœur incapable d’envisager une amnestie générale sans délai ni condition. On ne retire aucune gloire de la cruauté contre son peuple. Je suis sûr que vous commencez à vous en rendre compte ; peut-être un peu trop tardivement. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire. Il suffit seulement d’en être encore capable.
BRAHIMA SILLA